Ordonnance « STIB », quand une morale dirigée l’emporte sur le droit ? En sept raisons, pourquoi il doit être fait appel de cette ordonnance…
Posté le 23 juin 2021L’ordonnance de 69 pages (!) prononcée le 3 mai par le tribunal du travail de Bruxelles dans cette affaire que je commentais déjà en dans l’Echo du 17 octobre 2019) étonne.
Elle décide que la société des transport intercommunaux de Bruxelles (STIB) en ne donnant pas suite à deux candidatures successives de Madame MT a commis une discrimination directe basée sur ses convictions religieuses. Et le tribunal ordonne à la STIB de « cesser de fonder sa politique de l’emploi sur un principe de neutralité exclusive interdisant, de manière générale, à l’ensemble des membres du personnel, le port de tout signe convictionnel, quel qu’il soit (religieux, politique, philosophique) » et condamne la STIB à payer deux indemnités de dommages de 6 mois de rémunération.
Il est question ici de la composante externe de la liberté de religion càd le droit de montrer ses croyances religieuses et non de la composante interne càd le droit de croire en une religion. L’enjeu est de savoir si une politique de neutralité dite « exclusive » càd qui exclut/interdit tout signe extérieur de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques constitue une limite acceptable à cette composante externe.
A défaut, la seule solution serait d’appliquer une neutralité dite « inclusive » càd d’accepter tous les signes quelconques dans le cadre d’une politique dite d’accommodements « raisonnables ».
L’ordonnance surprend d’abord avec un ton très agressif et des mots très durs contre la STIB et implicitement ses avocats. Un tribunal n’est pas là a priori pour « noter » les écrits d’une partie et des mots comme « sans grande cohérence », « retranscription inutile », « citation redondante », « argutie juridique », « reproduction stérile » ou « que nous peinons à rattacher à la confusion des idées qui précèdent » pour ne citer qu’un seul des considérants (70) ne me semblent pas nécessaire. Ils peuvent par contre être perçus comme de l’agressivité voire un parti pris qui contraste me semble-t-il avec le devoir d’objectivité et d’impartialité du juge.
Elle est aussi émaillée d’apparentes incohérences comme de reprendre dans la liste des faits établissant la présomption de discrimination directe le fait que les recruteurs aient exprimés que le port du foulard n’était pas possible en raison du règlement de l’entreprise pour ensuite affirmer que la STIB ne se serait pas prévalue de ce règlement pour rejeter la candidature. Et en tirer argument à charge.
On passe sur les affirmations non-démontrées tels que le fait qu’une diversité exacerbée au sein d’une société ne pourrait être une source de conflits ou sur la démonstration par l’absurde de la file devant une boulangerie que l’on ferme par mesure d’égalité sociale pour éviter des tensions…
On s’étonne encore que les motivations primaires de non-retenue de la candidature (en particulier la seconde candidature) n’aient pas fait l’objet d’une analyse plus poussée, toute l’attention semblant donnée à justifier une discrimination directe.
Au point que, pour écarter l’arrêt de la Cour Européenne de Justice (CEJ) dans l’affaire Achbita (C-157/15) qui valide précisément le fait qu’une politique de neutralité exclusive (donc une interdiction indifférenciée de tous les signes religieux, convictionnels ou philosophiques) ne serait pas par principe une discrimination directe illicite, le tribunal juge que l’affaire de la STIB est différente... Justifiant que dans l’affaire Achbita l’employeur s’était « prévalu directement » de la règle portant l’interdiction alors que la STIB ne s’en serait pas prévalue directement … Ce alors pourtant que la règle est évoquée par les recruteurs dans leurs conversations avec MT…
Le caractère « fabriqué » du dossier surprend aussi. En effet, comment expliquer que MT donc la candidature n’a pas été retenue après la mention par le recruteur de l’interdiction de porter le voile, se représente un peu plus tard pour un autre job et via un autre recruteur. Comment expliquer que le premier recruteur affirme que lors des premières interviews elle avait clairement indiqué que ne pas porter le voile ne serait pas un problème et qu’il se dise surpris qu’au stade de l’interview avec la STIB soudainement cela devienne une question de principe. Que la candidate dans ses premiers mails évoque directement la neutralité « inclusive », donc connaissait le sujet.
L’ordonnance gêne aussi par ce sentiment d’une décision morale habillée ensuite de droit.
Appel doit être interjeté contre cette ordonnance pour ces raisons et parce que la neutralité exclusive doit rester une possibilité pour les entreprises comme le confirmait la CEJ.
Parce qu’il s’agit d’une décision de principe, elle doit être irréprochable.