L'arrêt de la CEJ dans l'affaire Barbulescu, vraiment du neuf?
Posté le 6 septembre 2017Jusqu'où un employeur peut-il aller dans la surveillance de l'internet? Les juges de la Grande chambre, l'instance suprême de la Cour européenne des droits de l'Homme de Strasbourg, ont rendu mardi une décision très attendue pour l'équilibre entre la sécurité de l'entreprise et la vie privée des salariés.
Les journaux et les commentateurs juridiques font depuis hier grand cas de cet arrêt rendu par la CEJ et l'on parle même d'arrêt de principe.
Est-ce tellement vrai ? Je ne le pense pas en général et certainement pas dans un contexte belge en particulier.
En réalité, la CEJ ne fait que rappeler et appliquer certes très clairement des principes déjà bien acquis à savoir:
(i) le droit à la vie privée ne s'arrête pas sur le lieu de travail et même des communications professionnelles peuvent être couvertes par la protection due à la vie privée car même sur le lieu de travail et dans des communications professionnelles le travailleur a droit à une sphère de vie privée que l'employeur ne peut lui dénier;
(ii) un e-mail, internet ou encore l'usage d'un système de messagerie sont des "communications" qui sont par nature protégées;
(iii) en soi, le contrôle par l'employeur de l'usage qui est fait des moyens de télécommunications utilisés dans l'entreprise n'est pas interdit et en réalité est autorisé par principe pour autant qu'un tel contrôle réponde à des conditions strictes destinées à assurer l'équilibre entre le droit de l'employeur à contrôler les prestations des travailleurs et à assurer le fonctionnement de son entreprise et le droit au travailleur à voir sa vie privée protégée :
a. le concept d'attente légitime en matière de vie privée, implique que le travailleur doit être informé au préalable de la possibilité d'un contrôle des moyens de télécommunications et de l'étendue notamment quant au contenu même de la correspondance et de la nature dudit contrôle. C'est ce point qui a pesé le plus dans la décision de la CEJ de considérer le contrôle comme violant l'article 8 de la CEDH. Monsieur Barbulescu n'avait jamais été clairement informé ni même de la possibilité d'un contrôle et encore moins de son étendue et de sa nature et il ne pouvait donc par raisonnablement s'y attendre et en déterminer les contours;
b. le concept d'atteinte légitime et proportionnée à la vie privée qui implique qu'en cas de contrôle, l'employeur s'assure que ce contrôle soit réalisé de manière à limiter au maximum l'atteinte à la vie privée notamment en limitant la durée du contrôle, en limitant le contrôle au seul flux, en limitant le contrôle du contenu par exemple en utilisant des recherches par mots clés, etc Ici encore, la CEJ est cohérente avec ses positions précédentes en indiquant que le fait d'avoir enregistré toutes les télé-communications de Monsieur Barbulescu sur une période de 8 jours, de les avoir intégralement lues, contrôlées et transcrites représentait une atteinte exagérée à la vie privée de ce dernier;
c. le concept de légitimité du contrôle qui implique que le contrôle soit mené à des fins légitimes et que cette légitimité s'apprécie plus sévèrement quand il y va du contenu des correspondances / communications.
En soi donc rien de nouveau. Ce qui est intéressant non seulement car repris dans la décision finale mais aussi car cela fonde l'opinion dissidente est la prise en compte du fait que l'employé d'abord confronté au seul flux de télé-communications avait affirmé n'avoir utilisé le système de chat qu'à des fins professionnelles ce qui avait mené l'employeur a lui présenter une transcription montrant des communications privées et même intimes pour démontrer que cette affirmation était fausse. Ce mensonge du travailleur n'a cependant pas suffit car à nouveau l'étendue du contrôle a été jugée exagérée et inutilement invasive.
On rappellera qu'en Belgique, la problématique du contrôle des télé-communications est encore rendue plus complexe par l'existence d'une part de deux dispositions pénales organisant le secret des télécommunications (article 314 bis du code pénal et article 125 de la loi du 13 mai 2007) ainsi que d'une convention collective nationale de travail (CCT 81) qui sous couvert de simplifier le contrôle par l'employeur ajoute en réalité des conditions supplémentaires finalement très proches de l'enseignement de la CEJ.
En Belgique donc, cet arrêt ne bouleverse donc pas selon moi la matière mais il a le mérite d'en remettre les fondamentaux en lumière.
Notons quant à la sanction que finalement, la victoire de Monsieur Barbulescu est un peu amère dans la mesure où il n'obtient pas de dommages et intérêts et que la validité du licenciement n'est pas en soi remise en cause …