À quand un discours réaliste de "larmes, de sueur et de sang"?
Posté le 3 novembre 2020Si sur les six premiers mois de l’année, le nombre d’annonces de licenciements collectifs reste stable par rapport à 2019 (36 en 2020 contre 43 en 2019), par contre le nombre de travailleurs concernés de janvier à juin double (4.483 en 2020 pour 2.681 en 2019). Il atteint ainsi sur 6 mois quasiment le nombre de travailleurs touchés pour toute l’année 2019 (5.087)… Ces annonces comprenaient notamment l’Hotel Métropole, Brussels Airlines, D’Ieteren, Lagardère, Brantano ou encore Samsonite et l’imprimerie Hoorens.
Les mois de mai et juin sont particulièrement « meurtriers » pour l’emploi avec respectivement 1.304 et 2.099 travailleurs visés par des annonces de licenciements collectifs contre 186 et 133 en mai et juin 2019…
Avec une répartition par secteurs qui montre que l’Horeca (741) traditionnellement épargné est cette fois lourdement impacté de même que le transport (1.030) ou la pétrochimie (950).
Ceci étant dit, les chiffres du premier semestre de 2010 (10.000), 2012 (5.000) ou 2014 (7.200) ne sont pas dépassés.
Sauf que depuis, les annonces de procédure « Renault » se sont succédé avec notamment Ryan Air, Sodexho, Lunch Garden, Coca-Cola, MediaMarkt. Il est clair que les bilans annuels de ces années noires (13.000, 16.700 et 10.600) seront dépassés.
Licenciements par "vagues"
Et encore, le phénomène cache les restructurations en cours n’impliquant pas de procédure de licenciement collectif – ce qu’on appelle en langage juridique un licenciement par « vagues » – car la procédure Renault ne s’applique que lorsque le nombre de travailleurs licenciés dépasse le seuil prévu (10 pour les entreprises de moins de 100 travailleurs, 10% pour les entreprises de 100 à 300 travailleurs, ou 30 pour les entreprises de plus de 300 travailleurs) sur une période de 60 jours calendriers. Si un tel étalement des licenciements est en soi légal, il suscite l’ire des syndicats comme le montre l’exemple Getronics.
Il cache aussi et surtout les pertes d’emplois suite aux faillites qui les années « basses » représentent environ 21.000 travailleurs et les années « hautes » jusqu’à 30.000 (2013 et 2014) avec rien qu’en 2019, 25.000 pertes.
Si les licenciements collectifs officiels impacteront vraisemblablement 15.000 travailleurs au moins, soit le triple de 2019, le nombre total de pertes d’emplois est ainsi, en réalité, bien plus élevé.
Pour rappel, l’IRES tablait en juillet sur une perte nette de 106.000 postes (133.000 chômeurs supplémentaires); chiffres qui pourraient bien s’avérer in fine optimistes, certainement en cas de reconfinement.
Du reste, le désespoir social ressort aussi de durées de procédure extrêmement courtes avec une médiane de 46 jours pour boucler une procédure « Renault » là où elle s’établissait à 61 en 2019 et 80 en 2018. Effet assez logique, les syndicats sachant pertinemment qu’il n’y a pas grand-chose à faire et que le plus important est de négocier le volet social des départs.
Financement aléatoire
Pour autant, à ce stade, au lieu de nous annoncer un discours réaliste de « larmes, de sueur et de sang » (Winston Churchill, 13 mai 1940) dans la lutte contre ce qui est une véritable guerre contre les effets économiques du Covid, nos politiques ne semblent pas avoir pris la pleine mesure d’une crise sans précédent.
Certes l’accord de gouvernement comprend nombre de mesures dont un plan de « relance » de 4,7 milliards et diverses mesures d’amélioration de la compétitivité. Sauf que le financement des ces mesures paraît bien aléatoire dans un contexte de déficit historique sans marges budgétaires et surtout au travers du pays – en particulier à Bruxelles – nombre de mesures continuent d’être prises sous couvert de Covid qui impactent négativement l’activité économique.
On continue, je le crains, de dépenser de l’argent et de raisonner comme en temps de « paix », à jouer à des petits jeux de politique partisane pendant que le pays s’enfonce.
Christophe Delmarcelle
Associé fondateur Cabinet DEL-Law
Juge suppléant au tribunal du travail